Découvrir | Ötzi, une vie décongelée, par Colocho

 

 

Ötzi

En 1991, entre l’Italie et l’Autriche, les reliques très bien conservées d’une anatomie humaine avaient été retrouvées prises dans les glaces d’altitude des sommets alpins. Observation, dissection, scanners : à la suite des études pratiquées par la communauté des scientifiques, le corps a révélé qu’il appartenait à un homme de type européen tout droit descendu de l’âge des alliages, celui du bronze ou du cuivre.

La mine d’or archéologique que la dépouille a alors constituée a aussitôt été recongelée et est devenue une pièce maîtresse du musée de Bolzano en Italie.

Toute équipée de sa hache en cuivre, mais bien plus célèbre en Autriche et en Italie, cette modeste vie humaine vieille de plus de 5 000 ans réclamait le talent d’un auteur de langue française pour qu’il en décongèle jusqu’à nous son énigme absolue.

Prudent et audacieux, c’est Colocho, bibliothécaire villeurbannais et bédéiste, qui s’y est collé, avec les éditions La Boîte à bulles.

De son talent ? On en est ébloui, tant les cases blanches du gaufrier de son média sont délicatement peintes. Les détails d’une vie pleine de bruits, de fureur et de rebondissements s’y installent confortablement.

Comme vous et moi, avant de devenir relique glacée, Ötzi fut un homme au sang chaud. Il mangeait du lièvre à la broche, du cerf, du sanglier. Dans le cahier soigné de l’ouvrage de quelques deux cent pages, Colocho offre à un homme la chance de dévoiler quelques-uns des épisodes significatifs de la fin de sa vie. Il s’appelait Horbuprän, son existence pleine de bruits n’a pas été une promenade !
La société de chasseurs cueilleur dans laquelle il s’inscrit n’est pas celle du paléolithique. Elle n’est pas celle qui taille le silex sur ses deux faces, ni celle non plus qui miniaturise l’outil. Contre les surfaces des grottes et des abris, sa société n’est pas celle qui élabore le langage symbolique sacré des hommes préhistoriques. Sa société n’est pas celle non plus, nomade, qui a parcouru l’ère glaciaire. L’art pariétal, la maîtrise du feu et l’établissement d’un langage élaboré appartiennent à son lointain passé.

Le temps dans lequel vivent Ötzi et son groupe polit la pierre, travaille le cuivre et est en train d’inventer l’organisation complexe d’une société agricole. Sur une terre au climat dorénavant tempéré, cette société n’est plus confrontée à la mégafaune qui a disparue, elle est la contemporaine des forêts qui se mettent à grandir et dans laquelle court le petit gibier. La vie n’est plus une course à la survie. Dorénavant la société s’est sédentarisée. Attention IIIIAAAA, la vie n’est pas non plus une promenade où l’on regarde pousser les arbres ! Au Néolithique, on travaille la terre, on fait fructifier le grain, on stocke le surplus des récoltes. L’homme invente le grenier que le voisin va bientôt piller. La société d’il y a 5000 ans invente-t-elle la violence de l’homme contre l’homme ? Colocho ne se tient pas à distance de cette éventualité. Bien au contraire, qui fait mal aux lecteurs, tracées avec des lignes à coups de IIIIIIAAAAAA et de pointes, le dur des armes polies traverse douloureusement de part en part le corps des hommes. Le lecteur hésite entre crier et pleurer. Ouf, le son contemporain des onomatopées fait rire. Entre le mou et le dur des batailles, la violence chorégraphiée fait frémir case, strip et gaufrier ! De cette lecture, le lecteur en sort perforé.

La momie retrouvée à 3000 mètres d’altitude entre l’Autriche et l’Italie en 1991 a révélé que l’homme était âgé de 46 ans au moment de sa mort. Atteindre ce grand âge au néolithique, c’était porter un corps très sollicité. Le bassin des femmes rendu plus étroit par la position redressée ne facilite pas les mises au monde. Dans la BD, Ötzi-Horbuprän devient le père de substitution d’un très jeune garçon sans mère.
Dans le récit de Colocho, le corps éprouvé de Horbuprän est fourbu de douleurs : l’homme souffre et consulte. Comment le néolithique soigna-t-il l’arthrose et les douleurs dorsales des hommes ?
Lignes graphiques noires sur le blanc de la page-peau, points et lignes contre le relief épidermique d’une anatomie : le corps d’ötzi retrouvé congelé était tatoué. Mais le tatouage néolithique était-il seulement de l’art ? Traces autour des articulations, marques sur les cervicales et le long de la colonne vertébrale…
Si plus aucun pariétaliste ne défend l’art pour l’art des grottes préhistoriques, comment réduire le tatouage des sociétés animistes, totémiques ou chamaniques à l’effort esthétique pur d’une aiguille encrée ? Et si la trace encrée sous l’épiderme était le repère laissé par une médecine néolithique en train de s’inventer ? L’aiguille : seul et même outil pour le soin et la beauté ?
Sérieusement bornées par les traces archéologiques qui lui dictent, Colocho avance des hypothèses passionnantes.

Une vie décongelée ? L’humour fin et culotté du titre est à l’image de l’œuvre qui avance en prudence et en audace simultanées. La vie néolithique dessinée est bruitée et dialoguée. On le sait maintenant sans douter, les sapiens n’ont pas pu devenir maître tailleur de silex sans langage.
La neurologie du cerveau qui a permis à la main la taille biface a rendu nécessaire aussi la mise en place d’une langue complexe. Il serait injuste de condamner la langue anachronique qu’utilise Colocho pour faire dialoguer ses personnages. Il serait injuste d’accuser les armes qui volent de cases en cases de siffler avec les onomatopées qui traversent le gaufrier des mangas d’aujourd’hui. Iiiiiiiaaaaaa. En l’absence de toute écriture, plus personne ne sait à quoi ressemblait cette langue du passé !

D’objet mort congelé d’il y a 5000 années à sujet d’études il y a 30 ans, voilà la relique d’un sapiens qui reprend vie dans la fiction de Colocho en 2023.
Colocho a décongelé avec prudence le récit croisé de la découverte de la dépouille et les derniers mois de la vie de l’homme Ötzi. C’est à l’histoire du corps d’un homme à qui l’auteur offre ce bel écrin d’encre et de papier, non pour l’y coucher, l’y enterrer, l’y abandonner mais bien au contraire pour le redresser dans l’espace et le temps de sa vie.

 

Avec ses bruits, sa langue, les traces de ses pinceaux, la bande dessinée de Colocho anime et dégèle le mystère néolithique d’une très ancienne vie.
Avec du papier et du talent, l’œuvre réveille pour le lecteur de belles hypothèses et soulève de très beaux questionnements. Bravo Colocho.

À partir de 12 ans, le livre est une magnifique épreuve humaine et graphique à traverser. Noire sur blanche, il y a de la belle Image et puis du Son : iiiiiiiiiiiiiaaaaaa, boosss, tap, blam, ooshh, on y entre comme à la Maison.
Ötzi, une vie décongelée,
Colocho, préface de Claudie Cohen, La boîte à bulles, 2023.
Prix du public de la meilleur BD documentaire au festival « Des volcans et des bulles » 2023

 

 

 

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