Quand la vache essaie de faire tomber la pomme du haut de son arbre…
Ces dernières années, le monde animal inspire beaucoup de réalisateurs. En témoignent les salles de cinéma qui s’ouvrent aux documentaires animaliers. Certains ont un grand succès public comme La panthère des neiges (César du meilleur film documentaire 2022). Ils dépeignent le monde vivant avec un regard nouveau, en lien avec les réflexions actuelles sur la condition animale, le développement de l’éthologie (étude basée sur l’observation du comportement des animaux et des hommes) et bien sûr une attention nécessaire portée à l’environnement.
Apprendre à voir et à écouter
« J’ai vécu un an et demi dans un affût installé dans l’arbre à attendre les geais ou dans un affût sur l’eau » se souvient le réalisateur Laurent Charbonnier.
Le documentaire animalier est le cinéma de la patience, celle du spectateur mais surtout celle du réalisateur et de son équipe. Patience et aussi astuce sont nécessaires pour capter la vie sauvage comme nous l’explique Mindaugas Survila (Dans les bois) : « Au cours d’une nuit complètement noire, je suis monté avec mon assistant dans l’arbre où l’oiseau avait sa cachette. Nous devions rejoindre notre propre cachette construite à trente mètres du sol en emportant tout notre matériel de tournage. Une fois l’installation terminée, mon assistant est redescendu, me laissant seul là-haut. L’idée était de faire croire à l’oiseau qu’une seule personne était montée puis redescendue, et qu’il ne soupçonne pas qu’un autre individu pouvait encore être dans l’arbre juste à côté du sien. Je devais alors ne plus quitter ma cachette. Les huit premières heures passent vite car c’est un plaisir d’observer et de filmer les oiseaux mais au-delà des quatorze heures là-haut dans l’arbre, cela devient difficile et les deux dernières heures sont souvent critiques… ».
Ces réalisateurs sont obsédés par l’idée de tout voir, de tout montrer : sous l’eau, à la cime d’un arbre, l’infiniment petit comme le ver qui creuse à l’intérieur d’un gland dans Le Chêne.
On voit mais on entend aussi très finement les sons émis par les animaux. Les cris de combat de deux grands coqs de Bruyère dans la forêt ancestrale de Lituanie (Dans les bois) ou le bruit de succion du veau qui tète sa mère (Bovines) nous offrent de belles surprises sonores.
Parfois, les équipes déploient des prouesses techniques incroyables, fabriquent de grandes structures pour pouvoir filmer ce qui est invisible à l’œil humain. Laurent Charbonnier a choisi un chêne « magnifique, notamment par sa situation au bord de l’étang. L’eau lèche les racines et, le soir, le reflet du soleil couchant dans l’eau éclaire les branches par en-dessous ». Lorsque commence le tournage, l’étang a été vidé, ce qui a permis d’approcher avec les caméras les racines dénudées.
Au contraire, Vincent Munier, le célèbre photographe animalier, essaie de se fondre dans le paysage pour pouvoir épier discrètement. Il reste silencieux des jours entiers vêtu de sa tenue de camouflage. Malgré ses efforts de dissimulation, il s’est, avec le temps, aperçu de regards à double sens : il a été observé par les animaux sans le savoir. Sylvain Tesson, son compagnon dans La panthère des neiges dit : « J’ai beaucoup voyagé et j’étais observé. J’étais observé et je l’ignorais. Nous ne sommes pas seuls (bonne nouvelle pour la vie)… Ils sont invisibles à nos yeux (bonne nouvelle pour la vie)… »
Que nous dit la vache?
En tant que spectateurs, on a peur avec l’oiseau qui voit la vipère s’approcher de son nid ; on se blottit bien au chaud près de la souris et de ses souriceaux : on s’identifie.
Parfois l’intention de l’animal est claire comme lorsque la vache, dans le film Bovines, avec sa langue, tente de faire tomber les pommes trop hautes dans le pommier. Mais la plupart du temps, on ne comprend rien à l’activité de ces êtres.
« L’animal, doté d’organes sensoriels différents des nôtres, ne peut percevoir le même monde », écrit la philosophe Vinciane Despret. Il est donc très difficile de se mettre à sa place. Beaucoup ont toutefois tenté de penser, de vivre comme lui. Dans un podcast, la réalisatrice sonore (qui crée des documentaires à écouter) Christiane Dampne a pensé que les éleveurs étaient les mieux placés pour cet exercice. Elle leur a demandé de se mettre dans la peau des vaches et de raconter plusieurs évènements importants de leur vie comme le vêlage, la fugue ou le départ vers l’abattoir. Nous entendons, qu’à force d’observation et de temps passé ensemble, ils savent nous transmettre un grand nombre d’informations sur l’intelligence des bovins qu’ils côtoient.
Comme ces éleveurs, ces films nous apprennent le respect en observant simplement. Il n’y a pas toujours d’explication à ce que l’on est en train de voir mais on s’habitue à la présence animale, une présence qui peut être sauvage comme la panthère des neiges, l’écureuil, l’ours, ou domestique, comme la vache.
Se laisser absorber par le film, s’émerveiller souvent, accepter d’entrer dans un univers étranger doté d’un autre rythme et d’autres règles, consentir parfois à enfiler une peau de bête, c’est l’expérience proposée par ces films magnifiques.
À voir :
Le Chêne, Laurent Charbonnier (2022)
La panthère des neiges, Marie Amiguet et Vincent Munier (2021)
Lynx, Laurent Geslin (2021)
Ours, simplement sauvage, Laurent Joffrion et Vincent Munier (2019)
Bonjour le monde !, Anne–Lise Koehler et Eric Serre (2019)
Dans les bois, Mindaugas Survila (2017)
La vallée des loups, Jean-Michel Bertrand (2016)
Bovines ou la vrai vie des vaches, Emmanuel Gras (2011)
À écouter :
La chronique de Vinciane Despret :
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-chronique-de-vinciane-despret
Dans la peau d’une vache de Christiane Dampne :
À lire (pour les plus grands) :
Donna Haraway, Manifeste des espèces compagnes, Climats, 2019
Vinciane Despret, Jocelyne Porcher, Être bête, Actes Sud, 2007