Découvrir | L’Écran d’épingles ou « la machine à rêver »

 

« L’écran… réflecteur de la profondeur et du velouté de la pensée
et de la rêverie en mouvement »
Pascal Vimenet

Alexandre Alexeieff (1901-1982) était un artiste français d’origine russe qui souhaitait animer la gravure. Dans ce but, avec sa compagne Claire Parker (1906-1981), ingénieur américaine, ils ont mis au point des écrans constitués de milliers d’épingles d’acier insérées dans des tubes de vinyle blanc, eux-même enchâssés dans un cadre.

La pression de différents objets (rouleaux, billes de verre, jouets…) sur l’arrière de l’écran pousse les épingles et crée un bas relief, une texture, une composition. L’ombre de ces aiguilles révélée par une lumière oblique constitue l’image. Les plus saillantes de la surface produisent des noirs profonds ; celles qui sont à fleur d’écran un gris très pale. En fonction du niveau d’encastrement de l’épingle, une infinité de nuances, du noir au gris clair, fait vibrer une image douce et délicate. L’appareil photo placé face à cet écran capte l’évolution du motif image par image. À l’instar de l’encre ou du sable sur verre, l’image de l’écran d’épingles s’efface pour laisser place à la suivante.

Alexeieff et Parker sur l’écran d’épingles

Sur l’ensemble de sa carrière, le couple Alexeieff/Parker a conçu dix écrans, le premier en 1931. L’ensemble des écrans, des documents et une multitude d’objets ayant servi d’outils ont été légués, par la fille d’Alexeieff, et sont encore conservés aux collections des Archives françaises du film (dirigé par la direction du patrimoine du CNC) à Fort Saint-Cyr.

Le couple a réalisé cinq courts métrages grâce aux écrans, ce qui peut être considéré comme une grande œuvre quand on connaît la lenteur commandée par le procédé. Deux films marquent encore particulièrement le monde de l’animation : Nuit sur le mont chauve (1933) sur la musique de Moussorgski et Le Nez (1963) d’après une nouvelle de Nicolas Gogol.

Alexeieff et Parker, guidés par le soucis de la transmission, ont dispensé des ateliers afin d’inspirer une nouvelle génération d’ « épingleurs ». En 1972, est emmené au Canada le NEC (nouvel écran) commandé par Norman McLaren alors directeur de l’ONF (Office National du Film). McLaren réalise un film, L’écran d’épingle (1973), où Alexeieff et Parker livrent un mode d’emploi extrêmement précis. Ce travail pédagogique a porté ses fruits puisque Jacques Drouin, qui a rencontré le couple, s’est essayé pendant trente ans à cette technique. Digne héritier, dans Mindscape (Le paysagiste, 1976), il déploie un univers onirique aux contours flous et mouvants. Dans Empreintes (2004), il expérimente la technique dévoilant la nature même de l’écran : l’épingle d’acier.

Contrairement à Alexeieff et Parker, la nouvelle génération d’ « épingleurs » n’a pas d’alter ego au moment de la réalisation. Michèle Lemieux qui a travaillé sur le NEC a témoigné de la difficulté et de la solitude à réaliser un film sur écran. Peut-être est-ce pour cela que les films sur écran expriment l’intimité, l’onirisme comme dans le très beau Le grand ailleurs et le petit ici (Michèle Lemieux, 2012).

Le grand ailleurs et le petit ici, Michèle Lemieux

Au CNC, l’Épinette construite en 1976 (270 000 épingles) a été restauré en 2007 par Jacques Drouin. C’est le deuxième écran encore « en activité ». Récompensées par plusieurs prix, Justine Vuylsteker (Étreintes) et Clémence Bouchereau (Saison pourpre), se sont récemment confrontées à l’Épinette. Les bottes de la nuit de Jean-Luc Granjon, également réalisé avec l’écran, sort actuellement au cinéma. Comme l’avaient espéré en 1931 ses créateurs, de cet instrument peuvent encore surgir des milliers d’images de « velours d’acier ».

Les films cités dans cet article sont disponibles à la vidéothèque de la maison du Livre, de l’Image et du Son :

Alexeieff : Le cinéma épinglé, Cinédoc Paris Films Coop , 2005

Jacques Drouin, Œuvre complète sur écran d’épingles, ONFC , 2010

Michèle Lemieux, Le grand ailleurs et le petit ici, ONF, 2012

Etreinte  (2018) de Justine Vuylsteker, dans L’Esprit du temps, La Traverse, 2023

Saison pourpre (2023) de Clémence Bouchereau, dans Annecy Awards 2023

Etreinte, Justine Vuylsteker

 

Quelques lectures pour les piqués de curiosité qui veulent aller plus loin :

L’écran d’épingles traverse le temps et la deuxième vie de l’écran d’épingles,

Sur le couple Alexeïeff et Parker : l’écran d’épingles, et « montreurs d’ombres »,

Entretien avec Justine Vuylsteker et rencontres avec Clémence Bouchereau, réalisatrice de « La Saison pourpre », par ici et par là.

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