Découvrir | L’accordéon

D’où viens-tu accordéon ?

S’il est un instrument de musique symbole de la France, son invention n’est pourtant pas française ! L’accordéon que nous connaissons aujourd’hui est le descendant hybride de l’accordion et du concertina. C’est en 1829 qu’on trouve pour la première fois le terme « accordéon » ou plutôt « accordion », qui reste encore aujourd’hui le nom anglais. L’invention est attribuée à Cyrill Demian, un facteur de piano et orgues à Vienne, en Autriche. Le tout premier accordéon n’a alors que cinq touches qui produisent des sons différents suivant que l’on tire ou pousse. La main gauche, elle, ne joue pas mais est dédiée à la gestion du soufflet. À la même époque un anglais, Charles Wheatstone, invente un instrument similaire qui existe encore aujourd’hui : le concertina. Il donnera plus tard naissance au bandonéon, exporté en Argentine et popularisé notamment par Astor Piazzolla en devenant emblématique du tango.

Vous avez dit piano à bretelles ?

L’accordéon est un instrument à vent fascinant : il a une multitude de touches, des rangées de boutons de chaque côté et au milieu, un soufflet qui les relie comme un poumon qui expire et inspire des notes. C’est un instrument à anches dites libres. A l’intérieur, ces anches sont montées sur des plaquettes appelées lames. Avec le souffle (humain ou mécanique) les anches vibrent et produisent du son, exactement comme un harmonica. Plus on tire sur le soufflet, plus le son est fort. C’est l’orgue à bouche qui utilise pour la première fois ce système d’anches libres : le Sheng en Chine ou encore Sho au Japon : un instrument asiatique qui aurait plus de 3000 ans !

On entend souvent parler d’accordéon diatonique ou chromatique : l’accordéon diatonique est un instrument bisonore, c’est-à-dire qu’il produit un son différent lorsqu’on pousse ou tire le soufflet pour une même touche. Le chromatique lui, produit la même note en tirant ou poussant le soufflet. Avec ses bretelles et ses touches ou claviers, on l’a surnommé aussi le « piano à bretelles ». C’est un instrument qui se joue au contact du corps, prolongeant les mains, les accordéonistes ne voient pas leurs doigts mais ressentent ! Marc Perrone, grand accordéoniste, en parle comme du « transcodeur de ses humeurs ». Ce dernier a beaucoup joué au ressenti et notamment pour le cinéma : il créa par exemple une pièce pour accordéon diatonique pour sonoriser le magnifique film de Jean Vigo A propos de Nice.

De l’Italie à Villeurbanne il n’y a qu’un souffle !

La production d’accordéons commence réellement en 1863 en Italie, avec la création de la première industrie du « fisarmonica » (accordéon en italien) par Paolo Soprani, à Castelfidardo. C’est encore aujourd’hui un haut-lieu de l’accordéon : une trentaine d’entreprises familiales y sont regroupées dont celle de Paolo Soprani et un musée où l’on peut admirer quelques 450 instruments du monde entier dont un prototype de Leonardo Da Vinci qui a été reproduit d’après dessins !

Et c’est ici à Villeurbanne, qu’une autre entreprise a marqué l’accordéon de son nom : Cavagnolo. Domenico Cavagnolo avait appris le métier dans sa région d’origine : le nord du Piémont. Il crée sa propre marque en 1904 et commence à produire des accordéons à petite échelle : chaque instrument est fabriqué artisanalement. Les difficultés économiques de l’Italie et l’arrivée au pouvoir de Mussolini l’ont poussé à émigrer avec sa famille à Villeurbanne en 1923. Il installe son entreprise dans un petit atelier cours Emile Zola puis rue Jean-Claude Vivant. Leur créativité et sérieux leur vaut une réputation et de nombreux accordéonistes reconnus leur font confiance dès les années 1930. Installée aujourd’hui à Béligneux dans l’Ain, l’entreprise poursuit son activité avec des productions variées à la pointe de l’innovation. De nos jours c’est encore en Italie, en France et en Allemagne que sont fabriqués la plupart des accordéons.

L’atelier Cavagnolo rue Jean-Claude Vivant, 1950.

L’Auvergne, Paris et le reste du monde…

Au début du siècle dernier, la France et en particulier Paris connaissent d’importantes vagues d’immigration. Italiens, Espagnols, Portugais, Européens de l’Est, Sud-Américains arrivent en nombre pour s’installer dans la capitale. Au même moment, la France vit un exode rural très intense : de nombreux français quittent leurs campagnes et « montent » aussi à Paris. Les Auvergnats sont parmi les plus nombreux et investissent le quartier Bastille : le samedi soir venu, ces nouveaux parisiens pour se divertir, se donnent rendez-vous dans les cafés-charbons tenus par les « bougnats ». C’est ici, dans ce faubourg populaire, que vont s’improviser les premiers bals, avec au départ l’un de leur instrument traditionnel : la musette (cabrette par la suite) : sorte de petite cornemuse dont la poche d’air est gonflée à l’aide d’un soufflet actionné par la main. Ils croisent des immigrés italiens, qui eux ramènent l’accordéon dans leurs valises. Si elle reste gravée par son nom dans les « bals musettes » elle ne tardera pas à être détrônée par l’accordéon super star du musette à son apogée. L’accordéon connaît ainsi son heure de gloire dans le Paris des années 1900 à 1950. Et comme la musique est intimement liée à la danse, on voit apparaître de nouvelles danses dès les années 1920 avec la valse musette, le foxtrot, la java, le pasodoble…etc.

À partir des années 1930, certains accordéonistes dérivent du musette en y ajoutant une touche de swing, s’inspirant notamment de Django Reinardht ; l’accordéon s’invite alors (entre autres) dans le jazz manouche, avec des ambassadeurs comme Gus Viseur ou Jo Privat. Si vous n’avez jamais écouté la Flambée montalbanaise de Gus Viseur, ne tardez plus, vos oreilles vont l’adorer !

Et on ne peut pas parler accordéon sans évoquer Yvette Horner, l’une des plus grandes accordéonistes françaises. Destinée d’abord au piano, ses parents décident de son mariage avec l’accordéon, aucune femme n’étant alors reconnue comme telle, elle en devint la reine. Véritable star du piano à bretelles, capable de tout jouer, elle avait même participé de 1952 à 1964, à la caravane publicitaire qui précédait les coureurs pendant le Tour de France : juchée sur une chaise sur le toit d’une traction, tenant un accordéon de 15 kg, elle jouait toute la journée pour égayer les spectateurs massés le long de la course et à l’arrivée de l’étape, Yvette remettait ça sur scène jusqu’à deux heures du matin ! Une « vraie tordue de la musique » comme chantait Edith Piaf qui avait fait elle aussi une belle place à l’accordéon dans sa vie.

Et aujourd’hui encore de nombreuses accordéonistes font vivre la tradition du bal musette et de l’accordéon comme Charlotte Espieussas, accordéoniste, chanteuse et percussionniste qui est tombée dans la marmite musette toute petite ! Oui les femmes sont nombreuses à faire vivre les scènes des musiques traditionnelles aujourd’hui.

Un instrument qui a fait le tour du monde

A la fois rythmique et mélodique l’accordéon peut tout jouer, tout seul ou accompagner. Il permet aussi de chanter en même temps. D’un point de vue sonore, il est puissant et a plus d’un tour à son soufflet ! Très vite adopté par les marins et les nomades, facile à transporter, il a fait le tour du monde et s’est invité dans de nombreuses musiques populaires, sur tous les continents.
Il est donc intimement lié à la danse !
Aujourd’hui on le retrouve ainsi dans toute l’Europe où les musiques traditionnelles l’ont vite intégré : en Italie bien entendu mais aussi en Roumanie, Espagne (en particulier en Galice), en Irlande, pour ne citer que quelques exemples. Il est énormément joué en Amérique latine : en Argentine avec le fabuleux bandonéon, au Brésil dans la musique forro notamment. Autres musiques de la fête et de la danse, sur le continent américain, on le retrouve en Louisiane dans le cajun (musique des blancs) et dans le moins connu zydeco, musique des noirs, qui prend ses racines dans le blues et les musiques créoles : Clifton Chenier était le roi du zydeco.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’accordéon diatonique est aussi très présent dans la musique traditionnelle à Madagascar. De la Russie au Japon, en passant par l’emblématique musique châabi, (« le populaire » en arabe) de l’Algérie, de nombreux musiciens et musiciennes se sont emparés de l’accordéon en s’inspirant de tous ses voyages.

Vous l’aurez compris, l’accordéon n’a peur d’aucun style ! S’il navigue avec aisance au milieu des musiques populaires, il fréquente énormément le jazz et s’est fait une place dans la musique classique, dans le rock, le rap ou encore l’électro avec récemment le musicien Grayssoker, qui propose des live hypnotiques fusionnant le dub, la techno et la transe.

On peut terminer notre voyage avec le très beau projet Migration, dans lequel l’accordéoniste Vincent Peirani s’associe au violoncelliste François Salque et à deux chanteurs d’oiseaux : Johnny Rasse et Jean Boucault. Paysages imaginaires, près d’un lac, dans la brume, de l’Estonie à l’Amazonie, il faut se laisser porter…

Toujours lié à la fête, à la danse, à la joie collective, comme beaucoup d’instruments de musique, il est un moyen de communication, un lien précieux entre les cultures et les Hommes. Il y aurait encore bien des choses à dire sur le piano à bretelles, tant cet instrument est complexe et fascinant !

Sachez donc que vous pouvez en emprunter un à la maison du livre et retrouver notre sélection de disques et de films spécialement dédiée à l’accordéon, au 4eme étage de la MLIS ! 

 

 

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