Une longue histoire qui n’est pas terminée…
Si, pour certains, critiquer le progrès technique ou vouloir décider collectivement de la place qu’on lui accorde dans nos sociétés relève de l’hérésie « amish » et réactionnaire, de plus en plus de voix s’élèvent pour pointer les effets socialement et écologiquement destructeurs de certaines « innovations ». La numérisation des services publics, qui s’accompagne systématiquement de « déshumanisation » avec fermeture de guichets et inaccessibilité pour les nombreux usagers victimes de la « fracture numérique », est un facteur d’exclusion sociale comme l’ont pointé à plusieurs reprises les défenseurs des droits successifs, notamment Claire Hédon dans son dernier rapport. Pour diverses raisons, on a vu des résistances collectives et individuelles contre les compteurs Linky, la mise en place de la 5G, l’installation de nouveaux aéroports et aujourd’hui encore les méga-bassines. C’est finalement tout un modèle de société – capitaliste, productiviste, libéral – qui est aujourd’hui remis en cause au nom des communs et du Vivant (des « externalités » du Marché).
Une longue histoire
Cette contestation du progrès technique n’est pas récente et on en trouve trace dès la première révolution industrielle qui commence en Angleterre : au début du XIXe siècle, les artisans du textile qualifiés (tondeurs, tisserands et tricoteurs), dont la vie n’était déjà certes pas facile, s’inquiètent de voir arriver les nouvelles machines qui séduisent leurs employeurs et les manufacturiers. À raison : un nombre d’emplois considérable sera perdu, ceux qui parviendront à garder leur travail n’en conserveront pas le sens et seront déqualifiés et aliénés. La plupart seront remplacés par des femmes et des enfants qu’on pourra se permettre de payer beaucoup moins. Enfin, c’est tout leur monde social, leurs petites communautés soudées, autonomes et résilientes, qui disparaîtront au profit de grands centres urbains entièrement soumis au Marché. Le bouleversement est jugé aussi destructeur que celui du mouvement des enclosures des siècles précédents.
Malgré les promesses de prospérité et de lendemains radieux, les révoltes éclatent, de nombreuses machines sont brisées et ce n’est qu’au prix d’une répression sanglante et impitoyable que l’État parvient à imposer la logique du « progrès ». La police et l’armée est envoyée sur les lieux de révolte, menant une véritable guerre intérieure au peuple et protégeant les seuls intérêts des plus gros possédants (un certain nombre de petits chefs d’atelier ayant abandonné les machines à la demande des militants). De grands procès exemplaires ont lieu et aboutissent à des punitions particulièrement sévères pour celles et ceux qui sont soupçonnés d’organiser et mener les mouvements de révolte.
On retrouve les mêmes logiques répressives à l’œuvre lors de la révolte des Canuts quelques années plus tard, à Lyon.
On redécouvre depuis quelques années l’histoire de ces résistances et leur actualité : deux siècles avant Greta Thunberg, on s’inquiétait de notre rapport à l’environnement et de la course à la croissance, à l’accélération et à l’accumulation inégalitaire de pouvoir et de richesses.
Des penseurs du XXe ont perpétué et élaboré une colonne vertébrale idéologique à la « techno-critique« , qui est multiple dans ses manifestations et ses revendications. On retrouvera par exemple Ivan Illich ou Lewis Mumford dans cette anthologie :
Les « luddites« , comme on appelle les briseurs de machines de l’Angleterre du XIXe siècle, tirent leur nom du Roi fictif Ned Ludd, et leurs intuitions et stratégies inspirent ou trouvent leur écho dans de nombreuses luttes à travers le temps et les frontières.
L’Histoire permet de faire émerger à nouveau une mémoire dont on avait organisé l’oubli, au profit de la fiction « Panglossienne » du progrès technique indiscutable où « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes ».
Mieux comprendre pour retrouver du pouvoir d’agir
Nous vivons avec l’informatisation une seconde révolution industrielle qui ressemble en de nombreux points à la première : accélération des changements et destruction de mondes sont, là-encore, au rendez-vous. De nombreux ouvrages viennent questionner et critiquer la place du numérique dans nos sociétés, notamment le « techno-solutionnisme » et l’absence de débat démocratique en ce qui concerne les choix technologiques.
La technologie n’est ni neutre, ni bonne, ni mauvaise, mais chacune porte en elle un certain type d’usage, façonne son utilisateur et, dans le cadre de l’informatique, fait advenir un nouveau monde. Comprendre les enjeux, c’est pouvoir faire preuve de « techno-discernement » et se réapproprier le monde qui nous entoure. Pour vous accompagner, vous trouverez de nombreuses références dans les collections des médiathèques :
On citera par exemple quelques ouvrages de critique sociale :
Mais aussi économique, culturelle, ou critique de l’école connectée :
Autour de l’intelligence artificielle, on pourra aller voir du côté de la trilogie d’Eric Sadin chez l’Échappée, maison d’édition de référence pour la techno-critique :
Et pour mieux saisir l’envers du décor, on se tournera vers le Contre-atlas de l’intelligence artificielle, de Kate Crawford, et En attendant les robots, du sociologue Antonio A. Casilli qui montre la réalité du travail du clic qui se cache derrière les solutions dites autonomes et automatiques.
Réponses et résistances
Face à l’ampleur du bouleversement numérique, on trouvera différentes réponses plus ou moins radicales. L’impact écologique du numérique (la fabrication des smartphones, serveurs, ordinateurs, infrastructures nécessaires à des usages toujours plus voraces) nous fera explorer la piste de la sobriété numérique.
Un autre numérique est-il possible ? C’est en tout cas ce que prônent les partisans d’un numérique responsable :
Moins mais mieux ? Voilà l’école du cyber-minimalisme qui vous invite à la déconnexion pour vous réapproprier votre temps et votre attention :
Plus radicaux, certains résistent encore et toujours à l’envahisseur numérique :
L’association des Soulèvements de la Terre a remis sur le devant de la scène la stratégie du sabotage largement employée par les luddites, et le film d’action Sabotage, sorti cet été sur les écrans, adapte librement l’essai Comment Saboter un Pipeline d’Andréas Malm, sorti à la Fabrique. Le sabotage revient-il à la mode ? C’est le pari que fait le dernier numéro de Socialter d’août-septembre 2023 malicieusement intitulé « On se soulève et on casse ? »
Et quand on a tout cassé, on fait quoi ? Du high-tech aux « low-techs »
Revenir aux « basses technologies », des technologies plus simples et conviviales, qui permettent de se réapproprier les machines et les savoir-faire. On vous renverra aux nombreux ouvrages pratiques de nos bibliothèques aux rayons bricolage, jardinage, loisirs créatifs et culture maker et on se contentera ici de présenter quelques fondamentaux autour de la notion de low-tech :
Si vous souhaitez vous lancer, quelques ouvrages pourront vous y aider :
Mais n’hésitez pas à feuilleter un journal consultable en ligne sur le site des médiathèques grâce à votre abonnement, et visiter un site de référence, dont le serveur fonctionne grâce à des panneaux solaires ! Tout savoir sur la low-tech en France et surveiller les projections du documentaire Low Tech, sorti en juin dernier.
Nos collections s’enrichissent toujours d’ouvrages critiques présentant des points de vue variés sur la question technique, si vous en connaissez d’autre n’hésitez pas à nous faire des suggestions. Et s’il vous en faut encore, allez voir du côté de cet article, « starter kit technocritique » :